Polémique de la coupe de monde au Brésil : la réalité derrière le football

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Alors que les aficionados du monde entier suivent la grande messe de la coupe du monde au Brésil avec passion, il en est d’autres pour qui cette coupe du monde symbolise l’intolérable.

Un seul chiffre s’oppose à la réalité sociale du Brésil : 11 milliards de Dollars, budget record pour une coupe du monde. Un record pour voir certains millionnaires taper dans une balle, un record bien indécent dans un pays où une bonne partie du peuple meurt de faim tous les jours.

Durant mon tour du monde, j’ai passé un mois au Brésil à découvrir ce pays magnifique. Lors de mon séjour à Rio, j’ai rencontré Nelson, un jeune carioca (habitant de Rio) participant aux mouvements de protestation qui ont eu lieu avant la coupe du monde 2014.

Parce qu’ils n’ont pas beaucoup de voix dans les grands médias, en voici une pour vous montrer la dure réalité derrière le football. Interview.

Bonjour Nelson. Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Bonjour, je m’appelle Nelson Cavalcante, je suis ingénieur diplômé de physique à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro. Actuellement je possède ma propre TPE d’enseignement à domicile, Vetor Apoio Escolar.

Rentrons directement dans le vif du sujet Nelson si tu veux bien. Est-ce que tu peux nous expliquer ce qui s’est passé pendant des mois avant la coupe du monde au Brésil ? Pourquoi les gens sont-ils sortis dans la rue ?

Il y a eu diverses manifestations dans tout le pays. Les différentes formes de mécontentement proviennent de l’extrême corruption qui règne au Brésil, de l’augmentation de la violence, d’un mauvais système de santé, de taxes parmi les plus hautes du monde (ndla : les brésiliens travaillent jusqu’en mai simplement pour payer les taxes de l’année) ou de l’inflation. Plus récemment la grogne a monté du fait de l’incroyable augmentation du coût de la vie, en plus de tout le reste. les loyers et prix de l’immobilier par exemple ont horriblement augmenté du fait de la seule spéculation.

Alors que tout augmente, les salaires du public (enseignants, pompiers, chauffeurs de bus, personnel de santé, éboueurs, …) se sont vus gelés ou même diminués. Ce qui, bien sûr, rend les gens plus insatisfaits chaque année.

Depuis un certain temps, nous vivons avec la peur de la violence, avec la plus bureaucratique des machines publiques que l’on puisse concevoir, tout en payant énormément pour des services publics médiocres. Même le secteur privé, comme l’énergie, Internet ou le téléphone, imposent des tarifs exorbitants pour des services médiocres. Et nous subissons tout cela sans la moindre petite aide ou considération de la part du gouvernement ou de la justice.

Et un jour est arrivé la goutte d’eau : la hausse du ticket de bus alors qu’un loi passée en 2012 exonère de taxes les concessionnaires de transport publics… de 90% ! Ce jour là commença ce qui semblait à l’époque comme une énième vague de protestation classique, mais tous les secteurs de la société avaient leurs propres revendications. Donc, grâce à Internet, Facebook et consors, tout le monde a commencé à voir la même dose de mécontentement chez ses voisins, amis, parents.

Le 20 juin 2013, un nombre immense de citoyens s’est rassemblé dans les rues des 22 capitales régionales du pays ! Voici une photo d’un petit bout de la foule à Rio ce jour-là. Et j’y étais.

Manifestation géante à Rio le 20 juin 2013

Toutes les composantes de la société étaient présentes : de gauche et de droite politiquement, les médecins, la classe moyenne, les étudiants, les travailleurs pauvres, les journalistes, les enseignants, tous ceux qui n’acceptaient plus cette situation. La répression a été dure mais le peuple est allé toucher le pouvoir au cœur, comme le prouve cette photo des manifestants ayant envahi le Congrès en chantant et protestant.

prise du Congrès brésilien par le peuple

© blogs.estadao.com.br/marcelo-rubens-paiva

La rue s’est ensuite détendue après l’annonce du report de la hausse de certains prix. Jusqu’à ce que l’on nous annonce que ce n’était que pour quelques mois. Ca a remis le feu aux poudres, en plus de la coupe du monde brésilienne et des élections.

cela nous coûte plus cher : les derniers chiffres en date parlent de plus de 11 milliards de $ !!!

En parlant de la coupe du monde, que peux-tu me dire à propos des sommes exorbitantes de l’organisation ?

A ce scénario déjà absurde, ajoutez par-dessus la Coupe du Monde de Football. Alors même que la fête devait calmer un peu les esprits et que les gens devaient soutenir l’équipe nationale, la corruption a tellement explosé que beaucoup d’entre nous ne profite pas de la fiesta. Les coûts de construction ou de rénovation des stades sont juste dispendieux : l’un d’eux coûte 100% de plus qu’initialement prévu et 8 fois plus que la moyenne d’un stade international ! Tous les coûts dépassent les prévisions initiales dans des proportions énormes. Et qu’apprend-on par dessus tout cela ? Que la FIFA, pour la première fois de toutes les coupes du monde, ne va payer AUCUNE taxes au pays !!! Et quand dans d’autres pays les bénéfices avoisinaient les 1 ou 2 milliards de $, ici ça va rapporter à la FIFA plus de 4,5 milliards de $ ! Et quand le coût pour un pays tourne autour des 3-4 milliards de $, tous les jours cela nous coûte plus cher : les derniers chiffres en date parlent de plus de 11 milliards de $ !!!

Pas besoin d’être universitaire pour comprendre qu’une infime partie de ces coûts auraient pu changer beaucoup de choses pour les citoyens brésiliens s’ils avaient été investis dans des secteurs en besoin.

Ei ! Dilma ! Vai tomar no cu !

Voilà où nous en sommes. Imaginez vivre dans une ville où il vous faut plus d’une heure et demie pour aller travailler, où vous avez peur de vous faire dévaliser ou tué, où la bière que vous buvez pour tenter d’oublier vos soucis est horriblement taxée et que cet argent ne vous sera jamais redistribué en services publics, en éducation pour vos enfants, en hôpitaux décents et efficaces. Et les prix augmentent encore et encore. Alors ça vous irrite et quand la coupe du monde au Brésil commence, la Présidente Dilma Rousseff est dans l’assistance. Elle n’est pas l’unique cause, tout le monde le sait, mais elle est le symbole de chaque mécontentement qui s’accumule depuis maintenant plus de 4 ans.

Alors, tout le stade chante “Ei ! Dilma ! Vai tomar no cu !” (“Hé ! Dilma ! Va te faire enc… !”)

Comment ne pas imaginer commencer à prendre part aux protestations ?!

Qu’à fait le gouvernement pour lutter contre les manifestations et protestations ?

La répression policière. Comme d’habitude, matraques, gaz lacrymogènes et violence. Ils sortent dans la rue la Police Militaire (ndla : héritage encore vivant de la dictature qui sévi entre 64 et 85 et contre laquelle Dilma Rousseff et Lula ont combattu férocement armes à la main) et le “Batalhão de Operações“, les forces spéciales brésiliennes que vous pouvez notamment voir dans le film “Elite Squad”.

Est-ce que les policiers tuent des gens ou exilent des brésiliens dans d’autres régions ?

Il n’y a pas eu d’exils (ndla : à l’heure où j’écris ces mots, des exils forcés ont eu lieu si ma mémoire est bonne). Mais il y a eu 8 cas de décès, autant que je sache. Aucun d’eux n’a été présenté directement comme tué par la police mais plutôt à cause “d’un usage excessif de la force”. Vous voyez l’ironie.

Comment vois-tu dorénavant l’avenir pour les brésiliens ?

Ce qui me fait le plus peur c’est la division des brésiliens. Comme aux USA, la population devient divisée et c’est là que le gouvernement a le plus de pouvoir sur nous. Nous sommes divisés en conservateurs et libéraux, en pro partis de gauche et pro parti de droite. Et cette division tend sensiblement vers l’extrémisme. Il y a déjà certaines franges de la société (et pas des plus petites) qui souhaitent clairement le retour d’une dictature militaire. D’un autre côté, d’autres personnes suivent aveuglément le parti travailliste au pouvoir (tout aussi corrompu que les autres avant) et souhaite plus de contrôle de la part du gouvernement alors que c’est lui-même qui fixe les taxes élevées et qu’il tente actuellement de manipuler la justice pour cacher les affaires de corruption.

J’ai peur de cette situation pour deux raisons très simples. Premièrement parce qu’une population divisée est trop occupée à se combattre elle-même pour rester concentrée sur les vrais coupables. Et deuxièmement, autant que je sache, parce qu’une division du peuple est l’exact moment où la démocratie est remise en jeu.

Enfin dernière question : penses-tu que les étrangers devraient venir pour assister à la coupe du monde au Brésil et à Rio ?

Il n’y a aucune coupe du monde comme celle qui se passe au Brésil, tout le monde le sait !

Mais Rio n’est plus la ville jadis chantée par Sinatra dans “Copacabana. Nous essayons toujours de faire de cette ville une ville meilleur ; nous, les cariocas, aimons notre ville. Elle a tout ce qu’une ville peut espérer avoir, excepté ses politiciens. Et c’est ce que nous devons changer absolument, en étant unis pour le changement.

Donc, si vous venez, voici quelques conseils. Il y aura toujours quelqu’un qui essaiera de vous voler à Rio, notamment dans les quatier Zona Sul et Centro. Et pas qu’à Rio d’ailleurs. Et malheureusement, vous paierez cher pour, la plupart du temps, de mauvais services. Soyez préparés !

Il ya beaucoup de personnes gentilles mais il y a aussi beaucoup de mauvaises personnes. Soyez intelligents, nous ne sommes pas un pays incessamment fun et excentrique, nous sommes en plein changements. Nous excluons et massacrons nos plus pauvres et nos plus mauvais pour paraître un pays “propre”, bon et pacifique : que nous ne somme pas. Du moins pas encore.

Donc si vous venez, regardez avec vos yeux, et pas au travers des reportages incomplets des grands médias.

Merci Nelson pour ce témoignage, bon courage au peuple brésilien !

Ma conclusion de voyageur

J’ai traversé tout le Brésil de Belem à Iguaçu en passant par Joao Pessoa, Salvador ou Rio de Janeiro et j’ai été conquis par ce peuple si bouillant d’énergie. J’ai vu la pauvreté extrême, je me suis fait attaqué par des junkies, j’ai vécu les folies du carnaval de Rio et j’ai randonné des jours dans la jungle brésilienne. Mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est le feu du changement qui vit dans le cœur des brésiliens, du moins ceux que j’ai eu le plaisir de rencontrer assez longuement pour en discuter.

En tant que voyageur, rien ne sert de boycotter tel ou tel pays : il existe des ignominies partout, même chez nous. Le plus important est d’avoir conscience de ce qui se passe dans les pays que l’on visite. Donc si vous vous faites un trip au Brésil pour la coupe du monde, ayez juste un geste pour votre voisin de bar ou de stade : apportez-lui votre soutien moral pour l’après coupe du monde et offrez-lui une bière ! Ca vous coûtera moins cher qu’à lui 😉

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