Mythe parmi les mythes, le Stelvio est sans doute le col le plus connu d’Italie, le plus impressionnant aussi. Et pas uniquement des cyclistes, la montée par Trafoi, et ses lacets empilés les uns sur les autres, est une route de légende chez les motards. Itinéraire en boucle en passant par la Suisse de l’Umbrail Pass.
Cols :
– Umbrail Pass (2503 m)
– Passo dello Stelvio (2760 m)
Départ : Bormio (Lombardie)
Itinéraire : Trace GPS
Difficulté : ★★★★★
pas excessivement long, mais avec deux cols difficiles et de l’altitude
Distance : 100 km
Dénivelé + : 3100 m
Intérêt : ♥♥♥♥
splendide, notamment la descente de l’Umbrail et l’ascension du Stelvio par Trafoi
Route : ✔︎✔︎✔︎✔︎
pas mal de trafic dans les vallées, sur des routes passantes, nombreux touristes dans le Stelvio (en plein été)
Avant de partir, êtes-vous bien équipé ? ➜ retrouvez nos conseils pratiques 🚴♂️
Le Stelvio, mythique
Aaah… le Stelvio ! Quand on est cycliste, quand on suit le Giro, quand on aime les cols mythiques, le Stelvio fait rêver. Cette route déjà, avec ces lacets superposés qui s’enroulent tels un serpent enroulé sur sa branche, une route qui donne une irrépressible envie d’aller poser ses pneus sur cette langue de bitume défiant les lois de la gravité… ou au moins celles du génie civil, surtout quand on sait que la route a été construite entre 1820 et 1825 ! Le panorama, pendant la montée et au sommet, est tout simplement somptueux. Mais le Stelvio est aussi un grand col des Alpes, long et difficile. Le côté le plus fameux, par Trafoi, que nous allons escalader aujourd’hui, donne le vertige : 48 lacets (21 pour l’Alpe d’Huez…), 2758 mètres d’altitude (deuxième plus haut col routier d’Europe après celui de l’Iseran), 25 km de long depuis Prato et 8 % de pente moyenne. Mieux vaut être un minimum entraîné quand on s’attaque à ce géant des Alpes.
Le Giro a bien évidemment contribué à sa légende. Disputé en mai, les coureurs du Tour d’Italie ont bien souvent franchi le Stelvio encadrés d’impressionnants murs de neige, voire sous des bourrasques neigeuses par des températures polaires. Le col, ‘frontière’ entre la Lombardie et le Sud-Tyrol ne se laisse pas dompter facilement et il n’est pas rare que son ascension soit tout simplement annulée car impraticable. Nous n’aurons pas cette dimension dantesque en ce chaud mois d’août.
Aldo Moser sur le Giro 1965 ►
Depuis Bormio, pour gravir le Stelvio par Trafoi, vous n’avez guère le choix.
1/ Vous gravissez le col depuis Bormio, descendez sur Prato-allo-Stelvio, faites demi-tour pour remonter tout ce que vous avez descendu… Plus court que notre parcours mais, je trouve, bien démoralisant. Certains ne rechignent pas à descendre un col pour le remonter aussi sec, j’avoue n’être absolument pas adepte de la pratique. A la rigueur gravir un col ou une ‘montée’ en aller-retour, mais pas l’inverse, pitié. Bref, vous l’aurez compris, nous avons opté pour une boucle, et là, il n’y a qu’une solution (depuis Bormio)…
2/ Départ par les rampes du Stelvio, puis, à quelques encablures du col, prendre à gauche pour franchir l’Umbrail Pass. Basculer en Suisse puis descendre la vallée jusque Prato et enfin s’attaquer aux 25 kilomètres du Stelvio par Trafoi. Une fois là haut, plus que de la descente pour retrouver ses peinates ! Après le fameux enchaînement Mortirolo-Gavia la veille, nous devrions encore en avoir plein les mirettes (et les gambettes) aujourd’hui.
Ce n’est pas la première fois que je viens gravir le Stelvio, la première fois, ce fut lors d’un voyage à vélo reliant Chambéry, en Savoie, à Vienne, en Autriche. Fier d’avoir gravi ce col (par le côté le plus facile et le ‘moins mythique’) avec mon vélo de voyage et mes sacoches de bike-packing, je m’étais juré de revenir escalader ces pentes avec mon vélo de route… sans sacoches !
première expérience du Stelvio en bike-packing en 2017
L’Umbrail Pass
Si vous logez à Bormio, vous n’aurez pas le moindre mètre pour vous échauffer, le Stelvio (et l’Umbrail Pass qui se situe à environ deux kilomètres du Passo Stelvio), part du centre de la cité Lombarde.
Les premiers kilomètres sont relativement roulant et permettent néanmoins de monter progressivement en régime. Nous nous élevons à flanc de montagne et délaissons rapidement Bormio en contrebas. La chaussée se raidit un peu et après une succession de lacets, nous nous retrouvons dans une vallée beaucoup plus encaissée. La route en balcon offre une vue impressionnante sur les montagnes alentour et notamment les hautes falaises sombres qui nous font face.
La pente est correcte, autour de 7-8 %, et plutôt régulière. Le tout est de prendre son rythme, en n’oubliant pas que le Stelvio nous attend plus loin. Je m’applique à bien faire tourner les jambes avant le passage plus délicat un peu plus haut. La route, très confortable jusque là, est de moins en moins large, la pente abrupte sur la gauche s’est transformée en précipice vertigineux, protégé par un vain petit parapet. Il ne faudra pas prendre de risques inconsidérés à la descente tout à l’heure. Le versant est tellement escarpé à cet endroit que les ingénieurs ont percé plusieurs tunnels à flanc de montagne. Et quels tunnels ! Étroits, froids, sombres, humides, leur traversée est assez épique. L’un d’eux est tellement fin que les voitures ne peuvent s’y croiser et seul un feu tricolore permet une bonne circulation. Par chance, nous arrivons quand il passe au vert et pouvons poursuivre sur notre rythme.
Une fois sortis du dernier conduit, la vue est assez incroyable. La route s’élève en lacets serrés droit devant nous. Des voitures vont et viennent au fil des virages tandis que nous distinguons quelques cyclistes qui gravissent doucement la pente, courbés sur leur machine.
La pente se dresse à l’instant où nous abordons ces lacets, avec un court passage à 14 %. Rien de comparable cependant au Mortirolo ou au Gavia, puisque les pourcentages s’assagissent rapidement. La route est ici magnifique avec ces virages en épingles réguliers, les prairies bien vertes et une cascade qui gronde tout à côté. La déclivité modérée permet en plus d’apprécier pleinement le paysage.
Une fois franchis ces lacets, la route et le paysage changent radicalement. Nous entrons dans une vallée assez large, verdoyante, calme. Notre chemin longe l’un des versants en une longue courbe régulière. Je me souviens être assailli par le brouillard lors de ma première expérience du Stelvio. Je n’en menais alors pas large. Il faisait de plus en plus froid au fil des kilomètres et j’avais déjà 130km dans les pattes. Aujourd’hui, il fait beau et la température est idéale pour le vélo, je n’ai ni sacoches ni plus de 100 bornes au compteur. Nous emmenons bon train avec Bertrand, mon compagnon de cordée du jour. Tout au bout de ce long arc bitumeux, nous franchissons les quatre derniers lacets de l’Umbrail Pass, délaissant le Stelvio que nous apercevons sur notre droite, à environ deux kilomètres de là.
Bertrand s’amuse en accélérant avant le passage du col. Je le laisse partir et finis l’ascension tranquillement, c’est que cette difficulté n’était qu’une mise en bouche avant le plat de résistance. Le temps de croquer une barre et d’enfiler un coupe-vent (nous sommes à 2500 mètres tout de même) et nous nous jetons dans la descente en direction de Santa Maria Val Müstair.
Passage en Suisse
La route est splendide. Je parle bien ici du bitume : noir et lisse. Un vrai billard et un vrai bonheur pour les cyclistes. J’apprendrais d’ailleurs ensuite que le col n’a été entièrement asphalté qu’en 2015. L’enrobé est beau, mais l’environnement n’est pas en reste non plus. Nous plongeons dans une vallée relativement étroite, encadrée de hautes montagnes, le Piz Cotschen (3026 m) et le Piz Umbrail (3033 m). Nous arrivons rapidement à l’étage sub-Alpin, des pentes herbeuses nous parvient le sifflement strident de marmottes, des bosquets de résineux puis une épaisse forêt mélangeant feuillus et conifères nous entourent. La route, sinueuse, torsadée, joueuse, s’infiltre en fond de vallon, tel un torrent impétueux. Ce col est très agréable à descendre, il doit être magnifique à gravir. L’Umbrail Pass souffre de la popularité et de la comparaison avec son voisin, plus haut, plus emblématique. Ce que le col suisse (le plus haut du pays d’ailleurs) perd en prestige, il le gagne en intimité. La route y est étroite, les voitures peu nombreuses, les cyclistes non plus. Cet Umbrail Pass possède ce côté sauvage et inattendu que j’apprécie. Une belle découverte inscrite dans ma liste des « cols à escalader ».
Tout en bas de la longue descente, nous débouchons à Santa Maria, petit village à l’architecture caractéristique de la Suisse allémanique. Nous rechargeons nos bidons à une fontaine, entourés de maisons rappelant les contes de fées.
De là, nous devons rejoindre Prato-allo-Stelvio en descendant le Val Müstair (Suisse) puis retour en Italie par le Val Venosta. La route est assez large, bien asphaltée et présente un profil plutôt descendant. Nous pourrions filer sans trop forcer si la circulation était moins dense. Après la nature sauvage du col, nous retrouvons la civilisation alpine d’un mois d’août. Rien non plus d’insupportable mais il est sûr que cette portion doit être plus agréable hors saison. Les kilomètres défilent néanmoins assez vite et nous arrivons finalement à Prato, point de départ du Passo dello Stelvio.
Le Stelvio en plat de résistance
La bourgade de Prato-allo-Stelvio est située à 915 mètres d’altitude. Le col du Stelvio à 2758 mètres. Faites le calcul. Nous devons nous enquiller 1843 mètres de dénivelé positif, en une seule grimpée, sans un mètre de descente au milieu, sans même un mètre de replat. Si le pourcentage moyen n’a rien d’affolant (7,5 % environ), ni le pourcentage maximal (9,8 %), sa longueur (près de 25 km), son altitude et le fait que la pente ne descende jamais en dessous de 7 % sur les 17 derniers kilomètres en font un col exigeant.
En quittant Prato, la route s’élève gentiment en fond de vallée, sous les arbres, à l’abri des chauds rayons de soleil aoûtiens. La bande de bitume est large et rend bien. Les jambes tournent encore bien. Je ne souhaite pas subir le rythme de Bertrand et me cale devant lui, à mon propre tempo. Nous progressons tranquillement, au milieu de forêts de feuillus vert tendre et de douces prairies. Nous sommes encore loin de la haute montagne.
Les premiers kilomètres jusque Trafoi passent donc plutôt bien. Heureusement puisque c’est à partir de ce hameau que les choses se corsent. D’ailleurs on parle souvent du Stelvio par Trafoi pour parler de ce versant mythique. La pente s’accentue donc un peu dans le hameau. J’essaie de garder ma cadence en enlevant une dent. Nous rattrapons un groupe d’une demi-douzaine de cyclos italiens qui papotent en grimpant. Comme souvent dans ces conditions, certains s’accrochent à nos roues et leur groupe explose. Nous nous retrouvons finalement à trois, puis à quatre après avoir rattrappé un autre cycliste, français lui. Je poursuis tranquillement à mon rythme sans me soucier d’eux, nous ne sommes pas en course, même si être plusieurs permet toujours de se motiver un peu.
La route, variée, s’enfonce maintenant dans la forêt et enchaîne quelques beaux lacets. Nous ressortons du bois avec un panorama somptueux. Sur la gauche se dresse la face nord du majestueux Mont Ortler, qui avoisinent les 4000 mètres (3905 m pour être précis), paré de son glacier monumental. Nous nous sentons tout petit sur nos vélos à cet instant, dominés par ce géant.
Après encore quelques kilomètres, nous atteignons les premiers virages en épingle faisant la rénommée du Stelvio. Nous ne sommes pas encore dans le mur final, mais déjà les lacets se succèdent, offrant par la même occasion différents points de vue sur les paysages qui nous enlacent. Je m’aperçois que Bertrand n’est plus avec nous mais un virage plus bas. Je pense qu’il s’est arrêter pour prendre une photo et qu’il reviendra comme une balle, comme à son habitude.
Trois kilomètres et dix (!) lacets plus loin, nous voyons très bien le col, droit devant nous, échancrure bien distincte et plantée d’un gros chalet, à peut-être un ou deux kilomètres à vol d’oiseau, six ou sept par la route. D’ici, l’ascension finale ressemble plus à un mur vertical qu’à une pente douce. Je me demande comment une route a pu être construite à cet endroit. Je me dis aussi à ce moment que je suis en train de gravir le Stelvio. Je ne me le dis pas en fait, je le vis, pleinement, je savoure l’instant, chaque coup de pédale, malgré les cuisses qui chauffent et les poumons qui s’essoufflent.
Mes compagnons de grimpée m’ont laissé en tête à tête avec le mythe, l’un s’est inexorablement enfui en aval, l’autre en amont. Je profite de ma chance, et de ne pas être complètement cramé. Je me dresse sur les pédales dans chaque virage, le regard porté sur le prochain, maillot grand ouvert. Les derniers lacets se superposent, s’empilent les uns sur les autres, et motivent à parcourir les derniers mètres. Droite, gauche, droite, gauche. Dernier kilomètre. Trois, deux, un lacet. Malgré le souffle court à cette altitude, je sprinte pour finir sur une bonne note, pour conclure en bons termes cette passe d’armes avec le mythique Stelvio, pour lui rendre hommage… même si le mot sprinter est bien galvaudé ici vu l’allure à laquelle j’avançais. Un sourire, ou peut-être davantage un rictus, se fige sur mon visage. Voilà. J’y suis. En haut du Stelvio.
Après quelques minutes pour reprendre mon souffle, je me retourne pour admirer le panorama et le chemin effectué jusqu’au col. Mémorable. Bertrand, victime en fait d’une petite fringale, arrive peu de temps après.
Qui dit mythe dit hordes de touristes
Le caractère impétueux du Stelvio est un peu mis à mal par le côté Loona Park® en son sommet. Restaurant, hôtel, magasins de souvenirs, show-room Bianchi, vendeur de sandwiches à la saucisse… et flopées de cyclistes, motards, automobilistes, scooters et vélos électriques. Le bonheur indicible d’avoir gravi ce col mythique n’en est pas moins fort, il en est même sans doute renforcer puisque cette foule prouve s’il le fallait la grandeur du lieu. Néanmoins, a posteriori, je pense préférer la simplicité du Gavia. Si vous avez gravi ces deux « monstres », dîtes-nous ce que vous en pensez.
photo obligatoire !
stèle en mémoire de Fausto Coppi
Du Stelvio, il ne vous reste plus qu’à vous laisser descendre jusqu’à Bormio, d’abord en rejoignant l’Umbrail Pass, puis par la route prise au début du tour. Les ferrus de vitesse, courbes et trajectoires pourront s’en donner à coeur joie, en faisant attention au passage des tunnels, les autres se délecteront du paysage qui s’offre à leurs yeux, sans que les deux options ne soient incompatibles ceci-dit. Cette descente permet de prendre le temps de savourer les dernières minutes de ce tour majestueux, en Suisse et Italie, avec l’impression d’avoir bien voyagé en seulement 100 km.
Pour l’anecdote, de nombreux cyclistes professionnels s’entraînent dans les parages. Nous avions croisé un jeune pro d’une équipe Continental la veille dans la descente du Mortirolo, aujourd’hui, en redescendant le Stelvio, nous avons aperçu ni plus ni moins que Davide Formolo, immanquable dans sa tenue de Champion d’Italie, qui montait le Stelvio en faisant de la force… What else ? Un instant furtif qui donne le sourire, comme la petite cerise sur le gâteau, la mousse de lait sur le cappuccino, la mozzarella di buffala sur la pizza.