Le désert… Le simple mot suffit à évoquer un imaginaire fécond, nourri depuis l’enfance par Tintin, les Pyramides d’Égypte, Lawrence d’Arabie, les images de la guerre en Irak… Pour ma part, c’est Profession : reporter d’Antonioni et Un thé au Sahara de Bertolucci qui m’ont imprégné. On rêve alors de sublime, d’isolement face à un espace qu’on imagine infini, un temps immuable et éternel. Le jour où Mélodie du Désert m’a invité à venir faire un trek au Maroc à la découverte de la vie nomade et de la culture sahraouie, l’enfant en moi a ressurgi, avec des dunes, des dromadaires et des étoiles plein les yeux.
Départ de Marrakech
Jour 0 : Arrivé 3 jours avant pour visiter Marrakech, j’avais hâte de quitter son tumulte pour gagner la tranquillité des grands espaces. Le rendez-vous était donné à 7h30 sur la Place Jemaâ El-Fna. Après une info totalement foireuse du gardien de nuit de mon hôtel, je rejoins le groupe avec 3/4h de retard. “Bonjour, Édouard. Désolé, le gardien…” Pendant que le chauffeur charge mon sac sous la bâche de la galerie, je fais connaissance de mes acolytes de voyage Blandine, Marlène, Élian, Hubert et son fils Matéïs. “Bonjour, Édouard. Désolé, le gardien…” Il ne m’en veulent pas (enfin je crois), on part sur de bonnes bases ! “1, 2, 3… Yallah !” nous lâche le chauffeur caféiné. Direction M’Hamid El Ghizlane en passant par la vallée du Draâ. Au fur et à mesure, la route se dirige vers les montagnes enneigées du Haut-Atlas. Il a plu et fait froid ces derniers jours. On a du mal à y croire au mois d’avril et, peu avant le Col de Tichka (Tizi n’Tichka, 2260 m), la neige a même recouvert tout le paysage (sauf la route). Quelque peu décontenancés par le contexte auquel notre fantasmagorie ne nous a pas préparés pour cette période, on hallucine en voyant des familles arrêtées sur le bas-côté en train de faire des bonhommes de neige et une bataille de boules ! Le blanc laisse place au rouge de la terre et au vert de la végétation avant que l’ocre jaune du sable inonde l’horizon. Petit détour par le village d’Aït Ben Haddou et son magnifique Ksar avant de faire étape à Ouarzazate.
La nuit tombe, les contrôles de police s’enchainent à chaque entrée de ville. On traverse Zagora en fête puis M’Hamid. Le chauffeur s’enfonce alors dans le désert où on ne voit qu’une dune après l’autre au fil des virages. “Comment fait-il pour savoir quelle direction prendre ?!?” 20 min après, on arrive au camp de base de Mélodie du Désert. Saïd nous accueille chaleureusement, nous montre nos tentes “en dur” pour la nuit et on passe à table avec une traditionnelle soupe harira et un tajine. Tout le monde est déjà ébahi par le plafond étoilé au-dessus de nos têtes.
Dans le désert marocain
Jour 1
Lever 7h30. La température est agréable. Un léger vent. Pas un nuage. Une dernière douche (eau chaude et salée) avant 7 jours. Nous goûtons au petit déjeuner qui accompagnera notre semaine : pain, confiture, vache qui rit (#LonsLeSaunierReprésenteMêmeDansLeDésertMarocain), thé, café et jus d’orange. Saïd nous amène nos cheichs (50 dirhams) qu’on a pas eu le temps d’acheter hier soir à cause de notre arrivée tardive. Il nous laisse à notre guide Mohamed, accompagné des chameliers Lahcen et Baddi qui viennent de finir de charger les cinq dromadaires. Nos sacs sont essentiellement remplis de nos vêtements pour le trek (pantalon de randonnée, chemises à manches longues, polaire pour le soir…), d’un sac de couchage ainsi que de mon matériel photo. Pour votre matériel outdoor (équipement, accessoires, vêtements), je vous recommande EKOSPORT (promos permanentes !)
Ça y est, le moment tant attendu est là, devant nous. Non sans une certaine excitation mêlée d’appréhension face à l’inconnu sauvage, on prend le chemin pour découvrir “l’esprit du désert”. Le parcours alterne entre “clairière” de terre séchée et dunes de sable. Ma première impression va aux dromadaires, fascinants avec leur nonchalance de dandy. La tranquillité d’un paresseux souligné d’un sourire narquois, légèrement pincé façon Joconde. Une première halte se fait à l’ombre d’un arbre. Mohamed nous distribue orange et cacahuètes pour se requinquer. Un peu plus loin sur le parcours, il nous montrera d’anciennes ruines et des fossiles incrustés dans les pierres. Le sol est parsemé de fragments de poterie. S’il pleut des chats et des chiens en Angleterre, ici, il semblerait que ce soit des amphores et des tanjias. Le midi, on s’arrête sous un îlot de tamaris. Un grand tapis rouge sur lequel on dispose les matelas. Un doux vent. On ne prend pas encore tout à fait la pleine mesure jouissive de ce moment. Quoique… Les caravaniers libèrent les dromadaires (même si une corde menotte quand-même leurs pattes avant pour éviter qu’ils prennent trop le sable d’escampette) et préparent le repas. Lorsqu’ils nous l’amènent, on est époustouflé : salade de riz avec concombres, tomates, poivrons et sardines (melon en dessert). Un régal aussi bon qu’inattendu ici au milieu de nulle part ! Il faudra bien un long repos méridien à l’horizontal pour digérer tout ça. Sieste pour les uns, lecture ou carnet de voyage pour les autres. Mine de walou, les dromadaires se font petit à petit la malle discretos mais cela ne semble inquiéter que les occidentaux anxogénisés comme nous sommes (Lahcen ira les chercher sans souci en fin de journée, ils savent bien qui possèdent les sacs d’orge…). Pendant ce temps-là, nos encadrants montent les tentes puis se reposent à leur tour. La chaleur commence vraiment à se faire sentir.
17h, la température commence un peu à redescendre. Excursion avec une petite promenade dans le désert pour aller voir la kasbah du Marabout Sidi Naji. 1h30 de marche avec Mohamed uniquement. Marcher dans les dunes de sable ressemble à marcher dans la neige avec les formes de vagues. Le pas s’enfonce tandis que la ligne de crête est plus dure, le vent a chassé le sable volatile. Lors d’une conversation, Mohamed, parfaitement bilingue, me demande “qui est le journaliste dans le groupe ?”. Par déduction, j’en conclus que ce doit être de moi dont il s’agit. Il m’appellera ainsi durant le reste du voyage. C’est flatteur, même si c’est bien galvaudé. Il me dit qu’il a l’habitude, qu’il a déjà emmené ici Bear Grylls pour Man vs Wild ainsi qu’un “Fred” pour la télévision française (je pense à Échappées Belles mais Marlène me convainc avec Frédéric Lopez et Rendez-vous en terre inconnue ; en rentrant, je ferai mon enquête et il s’agit en fait de Fred & Jamy pour un C’est pas Sorcier dans le désert). En fin de compte, nous sommes avec une star de la télévision ! Il est guide depuis 2001 et a toujours vécu ici. Si vous faites ce trek dans le désert marocain avec Mélodie du Désert, je vous souhaite de l’avoir, il est aussi génial qu’adorable ! Arrivés à notre but, le tombeau de Sidi Naji a surtout des allures de chalet (en pisé) non-gardé, une longue stèle longiligne au sol accueillant le corps du marabout depuis trois siècles (notre cuisinier Baddi est son descendant de la 10e génération). Autour, un cimetière délimité par une ligne de cailloux. Les tombes sont juste marquées par une pierre relevée à la verticale. Une ruine de kasbah “se tient” encore un peu à côté, quelques murs subsistent. Mohamed nous montre encore des fossiles pris dans la roche.
Retour au bivouac par un autre itinéraire, moins bosselé, sur fond de coucher de soleil. On s’emploie à récupérer du bois mort pour le feu et savourons le thé. La chaleur est encore bien présente même si le vent commence à redescendre en température au fur et à mesure que l’obscurité prend place. L’étoile du berger est déjà là. Soupe harira, tajine mouton, pomme, verveine puis le spectacle céleste occupe les conversations. “L’étoile du Nord ne bouge pas ? Et la Grande Ourse alors ? Où est Cassiopée ? Orion ?…” Mohamed est aussi guide stellaire ! Puis, chacun rentre dans son duvet, à la belle étoile autour du feu pour la plupart. La nuit est un peu fraiche et je dois tirer une couverture supplémentaire sur mon vieux sac de couchage D4 12° sur le petit matin.
Jour 2
Réveil tout en douceur. Silence absolu (sinon le bruit des zips des premiers levés). Les yeux s’ouvrent dans un univers pastel. Certains vont méditer, d’autres vont en quête (moins spirituelle) d’un petit coin discret pour offrir à manger aux mouches et aux coléoptères. Le point commun entre les deux pratiques reste le recentrement de la conscience sur son corps. La difficulté consiste à savoir choisir le bon côté de la dune afin que le briquet soit à l’abri du vent et puisse enflammer le papier plus immaculé (comme l’ensemble des détails techniques, la pratique est assez empirique et l’expérience viendra au fil des jours). Mohamed nous a placé le petit déj sur une butte de sable. On se croirait Aladdin volant sur le tapis magique. Les repères d’orientation sont perdus, chacun interroge un autre sur la direction de notre point de départ et de la kasbah de Sidi Naji. La caravane repart, il fait un peu plus chaud que le veille. Petit à petit, on s’enfonce dans les dunes. Le “vrai” désert, celui qu’on a tous imaginé, s’offre à nous. On passe devant une ruine dont il ne reste qu’un puits, encore en état.
© L’Oeil d’Édouard / Instagram 📷
Apparemment, une tempête pourrait arriver au vu de l’horizon poussiéreux. On arrive sur une butte de tamaris pour monter la tente. En ce deuxième jour, on commence à oser participer aux tâches quotidiennes de la vie nomade sahraouie sous l’impulsion d’Élian. Déchargement des dromadaires qui portent plus ou moins 80 kg sur la bosse (apparemment, le plus costaud de la bande peut porter “150 kg, sans problème”) et ensuite, montage de la tente pour la cuisine.
Repos digestif à l’ombre des branches sur la “terrasse”, dixit Mohamed, en regardant les dunes aux lignes pures, quelques colonnes de sable tournoient au loin, les dromadaires qui dérivent en premier plan à la recherche des plantes… On est vraiment face dans une gigantesque carte postale. L’esprit s’abandonne pendant que l’oeil erre dans le paysage. 20 ans après, je me laisse tenter à reprendre l’aquarelle.
En fin de journée, nous allons seuls sur le sable, les yeux dans l’eau, pour monter sur la grande dune pyramidale au loin et observer le coucher du soleil (le rêve est tout de même trop beau). Beaucoup de vent et l’impression depuis le sommet d’être face à une mer avec ses vagues de dunes. Le soleil se couche mais le voile de poussière le fait disparaitre avant la ligne d’horizon. Ça commence à venir mais, malgré ce que je reçois dans les yeux, le cerveau a encore du mal à se dire qu’il est là, en plein milieu du désert du Maroc.
Descente “dré dans l’pentu” dans la face Est. Le sens de l’équilibre est mis à mal avec les différentes densités du sable. Petit tour pour aller chercher du bois autour du bivouac et Baddi prépare le pain qu’il fait cuire ensuite au feu. La technique de cuisson à l’étouffée sur le sable nous fascine. On mange tous ensemble autour du feu (les millénaires passent, les us perdurent) puis Lahcen et Mohamed se déchainent d’humour. L’ambiance collective du trek nait à ce moment là. S’en suivront des chants improvisés en arabe et français, rythmés au son des percussions sur le four à pain.
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Jour 3
Ce matin, réveil aux aurores pour aller voir le lever du soleil depuis les premiers contreforts de la montagne séparant le Maroc et l’Algérie. Les rochers basaltiques dans le sol ressemblent à des coupes de troncs d’arbre avec ses anneaux. Comme tout est quasiment plat autour de nous, le dénivelé apparaissait presque impressionnant mais il suffira en fait de 10 minutes à peine pour arriver au-dessus ! Quand je vous parlais de perte de repères dans le désert… Voir un lever de soleil à toujours quelque chose de magique, peut-être plus qu’un crépuscule car il s’agit d’une résurrection, un nouveau futur qui ouvre son champ.
Retour au campement pour le petit déjeuner puis notre périple reprend en remontant sur cette même ligne de crête rocheuse. Ambiance martienne avec un sol de pierres rouges. Le plateau qui nous sépare des sommets en arrière-plan accueille parfois un lac pouvant perdurer une année (mais là, ça fait 5 ans qu’il est à sec). Passage par une nouvelle ruine de kasbah et, même si aucun chien n’aboie, on aperçoit notre caravane passer en contrebas. On redescend pour retrouver un itinéraire de petites dunes de sable. L’eau n’est pas très loin, il y a plus de verdure, plus de traces d’animaux. Mohamed nous montre des empreintes d’hérisson, de chacal, d’oiseaux… et nous parle aussi des lynx, fénnecs, serpents, scorpions. On retrouve Lahcen et Baddi à l’ombre d’un tamaris et Mohamed repère un nid et le petit corbeau qui, emmêlé à la patte par un sac plastique, en est prisonnier. Super Mo le libèrera.
On arrive ensuite dans un décor tel qu’on le rêve depuis notre enfance, les dunes sont les uniques éléments constituant le paysage. On monte un col de sable où on serpente en suivant les lignes de crête. Tout le monde est émerveillé par le sublime. Les dromadaires ne galèrent presque même pas dans le sable avec leurs gros pieds plats tout mous. De l’autre côté, on suit d’anciens cours d’eau jusqu’à faire notre quotidien pause orange-cacahuètes. Ces petits riens font tout ici.
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On voulait du désert, nous voilà dans une immense étendue aride à traverser. La plupart des arbustes sont morts. Le sol craque sous nos pieds. J’essaie de ne pas perdre le groupe de vue ! On posera le bivouac au pied d’une grande dune, là, comme ça, sans raison apparente autre que celle de la chaleur qui nous oblige à s’arrêter. On s’emploie tous à décharger les dromadaires et à monter les tentes pour se mettre à l’abri du soleil en-dessous et espérer un peu de vent. Notre jeune Matéïs est groggy et a sans doute subi une petite insolation.
Après le repos digestif et thermique, Mohamed nous conduit à la grande dune culminante du désert, Erg Zaher, surnommée la “Dune hurlante” (explications de Jamy) même si, nous, on ne l’a pas entendue chanter ce jour-là. Je me répète mais son ascension ressemble à celle d’une montagne enneigée, chacun en file indienne le long de la ligne de crête. Une dernière partie bien raide qui tire sur le cuisseau pendant que les pieds s’enfoncent. Au sommet, il y a déjà une vingtaine de personnes avec deux guides nomades ayant eu la même idée que nous, venir admirer le coucher de soleil. La vue panoramique à 360° est sensationnelle.
Le spectacle solaire passé, on se refait une descente plein gaz dans la pente hurlante. Un pur bonheur ! De retour au camp, l’ambiance générale va crescendo autour du pain qui cuit, du tajine maison puis du thé chantant. On se trouve un petite place sur une butte sablonneuse et on s’endort en regardant les constellations et imaginant celle du dromadaire…
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Jour 4
La nuit a été un peu fraiche et j’ai apprécié la couverture. Réveil toujours aussi paisible avec, en bonus, la vue des dromadaires quasiment à nos pieds et le soleil qui commence à pointer derrière un dune. Suis-je réellement réveillé pour vivre un moment si onirique ? Mise en route après une grande théière pour se réhydrater et retour à la réalité : je vais devoir expérimenter les baskets sans chaussettes (les sacs sont déjà chargés sur les dromadaires). Finalement, et assez rapidement, la marche se fait pieds nus sur le sable encore frais de la nuit (on se délecte de ces petits plaisirs normalement anodins). Lahcen et Baddi ayant pris un autre chemin, plus long, pour faciliter les dromadaires, on fait une petite pause. Mohamed nous fait un quizz d’empreintes animales dessinées avec sa main puis des parties de dames s’improvisent sur le sable, au milieu de “nulle part”. Le paysage devient ensuite une vaste étendue de terre asséchée où la vue d’un squelette de dromadaire finit de parfaire l’ambiance à la Lucky Luck.
En se rapprochant de l’Oued du Draâ, la végétation se densifie et nous trouvons refuge dans un petit bosquet de tamaris. Il fait très chaud, peu de vent, quelques tornades de sable au loin mais surtout, l’horreur du bruit des moteurs d’un rallye de l’autre côté du Draâ. La chanson de Renaud vient alors résonner dans ma tête… Lors de la pause méridienne, Lahcen et Mohamed amènent boire les dromadaires à un puits.
Mais la grande surprise du jour est qu’on peut aller… prendre une douche !!! en fin d’après-midi, Baddi nous conduit au puits pour aller “se faire briller les glaouis”. Qui aurait cru qu’on pourrait se laver en trek au milieu du désert !?! On traverse le lit asséché de la rivière pour arriver vers trois cylindres en béton. Un petit bassin en guise de gamelle pour les camélidés, un plus haut pour les êtres humains. Autour, les nombreux bidons abandonnés nous ramènent à une triste réalité… On remonte les seaux sur une dizaine de mètres en tirant sur des cordes et l’arrivée de l’eau apparait comme miraculeuse. Évènement absolument improbable pour moi, je me délecte de la fraicheur qui ruisselle sur mon corps tandis que d’autres avaient, je ne sais pas par quelle étrange clairvoyance, un savon et du shampoing dans leur sac. Dans tous les cas et pour tous, la présence de l’eau en ces lieux apparait comme une providence et on mesure son degré de préciosité. Chacun retourne au bivouac en se remémorant la sensation alors que les vêtements humidifiés ont déjà séché !
Le soir venu, nos trois guides nous invitent à préparer le repas (on leur avait déjà proposé les jours précédents mais là, ça y est). Collecte du bois, préparation du thé, épluchage de légumes sur les conseils de Baddi qui supervise de loin pendant qu’il prépare autre chose en parallèle. Malgré la barrière de la langue, la complicité implicite se construit avec des mots simples et des moments d’échanges se font à “l’apéro”. Tout le monde rigole, Lahcen fait le pitre en dansant, chantant en permanence et en nous interpellant. La lune se couche en devenant rougeâtre, des chauves-souris passent au-dessus de nos têtes puis nous rediscutons des étoiles qui prennent les 3/4 de notre champ de vision.
Jour 5
Matéis, 15 ans, a du mal à se lever ce matin… Avec son père Élian, on décide de déplacer son matelas pour libérer le tapis rouge pour le petit déjeuner. C’est à ce moment là qu’une grosse araignée beige apparait dessous et fonce sur nous ! Lahcen nous voit et nous met en garde. Hubert, stoïque (ou inconscient) pose sa chaussure de rando et l’observe creuser sous sa semelle. Serein le gars, serein ! Après cette péripétie (valant bien deux cafés au niveau cardiaque) et quelques tartines, on reprend la route en traversant le lit du Draâ (et non pas l’inverse) pour arriver sur un sol terreux, légèrement mou comme dans les parcs pour enfants. Lors de la pause, nos guides décident de tous nous appeler par des prénoms arabes (Ahmed, Aïcha, Touda, Abdelkrim pour moi… Huberbère). On fait de même avec Jean-Claude, Michel et Louis. Voilà qui est plus simple et ludique pour tout le monde ! La route du retour commence ici, on remonte le Draâ avec le soleil de face le matin. On retrouve un autre puits où un autre nomade est venu faire boire ces dromadaires. Djellaba, cheich, lunettes aviateur et cigarette à la bouche, le style est quelque peu différent. On se pose un peu plus loin, aujourd’hui, on est ravitaillé en eau… en moto ! Rencard : “dans le désert du Maroc, près du puits, sous un tamaris”. Va rentrer ça dans ton gps toi ! En attendant, Mohamed nous bricole aux branches des suspensions de couvertures pour nous faire de l’ombre pour manger. “Palace !” Après un repas qui gagne chaque jour en quantité, on s’étale de tout notre corps sur les parcelles ombragées, à la recherche de la moindre brise. On passe son temps à chasser les mouches. Le livreur arrive et, pour faire tenir la béquille de sa monture, on le fait reposer sur le plat de la pelle (objet assurément multi-usages dans le désert ! Les suisses ont leur couteau et leur…, les nomades ont la pelle).
Durant ces pauses méridiennes, le temps passe encore moins vite que le vent… On ré-apprend un autre rapport à la vie ici. D’ailleurs, au détour d’une conversation, Mohamed nous avertit qu’il vient de voir un trace de serpent autour de nous. Illico, l’instinct de survie sort alors chacun de sa somnolence ! Il cherche, il cherche… mais rien. Au pire, il nous reste encore de la salade de pâtes si le reptile a faim, il y a sûrement moyen de négocier (d’autant qu’on a un prof de l’ESSEC dans le groupe). La frayeur passée, je me détends en observant des oiseaux (type canaris) dans les branches. Après 5 jours de trek dans le désert du Maroc, on s’étonne en découvrant pour la première fois des nuages dans le ciel. On aperçoit également plusieurs tornades de sable dont certaines passent juste à côté de nous.
La route qui s’en suit longe le Draâ et ses abords arborés. La lumière est filtrée par un voile de sable qui est de plus en plus prégnant. Mohamed nous fait sentir l’absinthe du désert, goûter de la roquette du désert et nous met en garde contre une plante grasse ultra toxique mortelle. C’est toujours stupéfiant de voit une telle volonté de vie malgré un milieu aussi hostile. Quelques dunes plus loin, on pose la camp. Montage des tentes, collecte du bois, préparation des légumes pour le tajine poulet du soir en même temps que contemplation du coucher de soleil.
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Lahcen prépare le pain devant nous. Mohamed semble préoccupé par le vent… puis nous raconte ses trois voyages en Suisse où il a fait le tour du pays, un marathon, le festival de jazz de Montreux, des randonnées dans le Valais, escalader le Miroir de l’Argentine, visiter Martigny, Évian, Thonon, Yvoire… Hilarant ! En discutant de photo, je propose à Baddi de tester le light painting. Je n’ai jamais essayé et me dis que la calligraphie arabe serait idoine. Il est d’accord, rendez-vous à la nuit…
Jour 6
Comme d’habitude, nuit à la belle étoile dans le duvet. Mais là, surprise, je suis réveillé par le vent et prends peu à peu conscience que mon visage est assailli par… des grains de sable ! On est en pleine (petite) tempête ! Tout le monde s’agite, rumine et se tourne dans le sac de couchage pour se protéger sous la couverture. J’ai laissé mon sac ouvert et mal rangé mais, advienne que pourra, je reste planqué ! Je vois Hubert et Blandine avec leurs frontales en train de chercher un asile. Le réveil est stupéfiant ! Le vent souffle encore avec le sable et on a littéralement du mal à ouvrir les yeux pour le coup. Le camp ressemble à un champ après la bataille. Tout est recouvert de sable et une des tentes a été couchée dans la nuit. Lors du petit déjeuner, je remercie grandement Mohamed pour ce spectacle, de nous avoir permis de “subir” une tempête de sable lors de notre trek dans le désert, pour le timing juste le dernier jour, de sa raisonnable puissance qui fait qu’on peut en rigoler. Sincèrement, j’ai adoré vivre ça !
Aujourd’hui, on a deux hommes à terre. Rien à voir avec la tempête, sinon celle de leur ventre… Il fallait bien qu’il y ait un petit grain de sable dans cette aventure. À force de travail mental et de déculpabilisation face à l’abandon, ils acceptent de venir se faire chercher en voiture pour rallier le camp de base du départ. Il faut dire qu’on est le dernier jour et que le paysage n’a plus grand intérêt en comparaison de ce que l’on a vu auparavant. Après 3/4h, un 4X4 arrive et embarque les deux victimes gastriques pour qu’ils aillent se reposer (et se vider dans de bonnes conditions). Alors qu’il était prévu une dernière nuit en bivouac, on décide de les rejoindre ce soir au camp pour partager ensemble la dernière soirée.
Soulagés pour eux, on se posera pour nous rassasier de ce que leurs estomacs refusent. Après le constat d’hier sur les nuages, aujourd’hui, le ciel est blanc, entièrement laiteux. Absence totale de vent, on suffoque, “la chaleur est quasi étouffante, j’ai l’impression de porter un costume en amiante”. Cela change du tout au tout. On se dit qu’on a finalement été heureux les jours précédents. En même temps, c’est assez troublant puisqu’on ne voit pas l’horizon, accentuant l’idée d’être au milieu de nulle part et/ou de vivre un rêve. D’un coup, Lahcen, Baddi et Mohamed s’activent à plier le camp, une nouvelle tempête arrive. Aussi intense que brève, le temps semble figé après son passage. Plus de vent, plus de bruit, c’est tout à fait saisissant comme impression. On marche en direction d’on ne sait quoi puisqu’on ne voit pas l’horizon. Chacun monte à tour de rôle sur le dromadaire, toujours impassible.
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Arrivés au camp après deux heures monotones (le paysage, la pré-nostalgie du retour…), on applaudit nos guides de cette semaine et nous-mêmes également au passage. Saïd nous accueille avec la même grâce qu’au premier soir, puis Hubert et Élian, plus fringuants après leur sieste. On décharge une dernière fois les dromadaires avec une sensation étrange, quelque part entre la baffe de la finitude du trek et la mélancolie. Le petit Édouard est incorrigible et voudrait que jamais cela ne s’arrête. Les guides repartent chez eux et on se retrouvent un peu cons. “Voilà, c’est fini”. On se regarde mais l’humeur n’est plus aux contrepèteries et autres énigmes. On se détend les jambes dans le néo-confort du camp (les ligaments des orteils et derrière les quadriceps ont un peu souffert avec les dunes de sable, les genoux grimacent à cause de la position répétée des jambes croisées le soir). On retrouve une douche salutaire dans le cabanon et Saïd se joint à nous pour discuter de son histoire nomade, de la différence entre arabes, berbères, bédouins, touaregs… Puis, avec Omar le cuisinier du camp, ils prennent la guitare et la darbouka pour nous jouer de la musique. On voulait se faire une dernière nuit à la belle étoile mais le vent et le sable redoublent et on repart dans les tentes fixes. Une dernière partie de cartes et chacun s’endort en parcourant déjà ses souvenirs du trek déjà passé.
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Jour 7
Réveil à 7h. Le corps semble avoir compris que le moment de détente avait sonné. On a du mal à émerger. Le petit déjeuner est le moment des phrases qui rappellent les fins de colonie de vacances. On charge les sacs dans le 4×4, dit au revoir à ceux qu’on quitte et reprenons la route, assis, pour Marrakech. On rebrousse le chemin qu’on a fait 8 jours “1 mois” auparavant à travers la Vallée du Draâ.
De par les paysages, la rencontre et l’expérience humaines, l’isolement et le lâcher-prise face à nos ancrages et flux quotidiens, on s’avoue que ce trek dans le désert nous a nourris, posé quelques graines d’alternative et de conscience élargie dans nos vies occidentales. Quoiqu’il en résulte, ce voyage cette expérience humaine m’aura assurément marqué à vie. Merci Mélodie du Désert !